"La Paix appartient à tous"
Le dialogue interreligieux dans les villes et les régions d'Europe
A l’occasion du 50ème anniversaire de la signature des traités de Rome, le Groupe PPE du Comité des Régions de l'Union Européenne a convié différents représentants des cultes d’Europe à une réunion extraordinaire le 22 mars 2007 à Rome. Le Président de l’Exécutif des Musulmans de Belgique, Coskun Beyazgül, y est intervenu sur le thème du dialogue interreligieux aux côtés du Président du Groupe PPE du Comité des régions de l'Union Européenne, Isidoro Gottardo ; du Président de la communauté juive de Brno, Pavel Fried ; du délégué de la Commission de la Conférence des Evêques de la Communauté européenne (COMECE),Vincent Legrand et de l’Evêque de France Grec-Orthodoxe, Son Eminence Emmanuil. L’occasion leur fut offerte de discuter des perspectives européennes en vue d’améliorer le dialogue interreligieux. A l’issue de cette réunion, une déclaration, reprenant un certain nombre de points se retrouvant dans les différentes interventions, fut signée par les membres du Comité des Régions.
Il y a cinquante ans, l’Allemagne, la France, l’Italie et le Benelux signaient le Traité de Rome qui établissait la Communauté Economique Européenne. Le Traité de Maastricht signé en 1992 instituait la citoyenneté européenne. Au-delà des droits qu’elle confère aux ressortissants des pays membres, cette citoyenneté favorise l’identification des citoyens à l’Union Europénne, la culture et la diversité et le développement d’une opinion publique et d’une identité européennes. L’Union Européenne encourage l’union des peuples d’Europe et renforce les droits et les intérêts des citoyens des Etats membres.
La citoyenneté porte d'abord en elle la notion de conscience collective et d'association mutuelle. Elle appelle à l’élaboration d'une culture commune par-delà les frontières étatiques. La diversité culturelle et religieuse de l’Europe revêt une importance particulière dans le processus d’intégration européenne. L’Union Européenne s’est fixé comme objectif de créer une Europe sans fossé culturel. Il s’agit en réalité d’un défi lorsque l’on prend en compte la diversité culturelle, religieuse, linguistique des pays qui constituent l’Union Européenne.
L’immigration, l’élargissement de l’Europe aux pays de l’Est et la mondialisation ont eu pour conséquence la multiplication et l’agrandissement des minorités religieuses ethniques et plus particulièrement de la minorité musulmane. L’islam est en effet devenu la deuxième religion de la plupart de nos pays et la religion d’environ 12 millions d’Européens. Cette présence musulmane pose un certain nombre de défis aux sociétés européennes, dont celle de la définition d’un modèle d’intégration permettant aux citoyens de confession musulmane de connaître à la fois un épanouissement de leurs sensibilités religieuses et une intégration sociale, économique et culturelle dans les sociétés européennes.
Cette présence questionne également le concept d’identité européenne. Faut-il définir cette identité par l’Histoire ? Cette démarche rappelle que l’histoire de l’Europe est liée à celle du christianisme. Beaucoup sont d’avis que l’Union Européenne devrait se définir par rapport à sa culture enracinée dans son héritage judéo-chrétien. Ceux qui défendent cette position sont ceux qui se sont positionnés en faveur de la mention de l’héritage chrétien dans le préambule de la Constitution Européenne. Il est indéniable que le christianisme a joué un rôle important dans le développement et la fondation des pays européens. Toutefois, le fait d’expliciter les racines chrétiennes aurait peut-être eu pour effet d’établir une hiérarchie symbolique entre les citoyens de l'Europe.
Par ailleurs, on ne peut nier l’apport d’autres cultures non chrétiennes à l’héritage culturel de l’Europe. L’identité et la culture ne sont pas des concepts figés. Elle se forgent et évoluent dans le temps selon les interactions et les rencontres que l’on fait. L’Europe, perçue par le reste du monde comme chrétienne, a tout au long de son histoire noué des contacts avec d’autres civilisations, d’autres populations et d’autres continents.
Aujourd’hui, il semble absurde de définir d’emblée l’Europe, et plus particulièrement l’Europe occidentale, comme chrétienne quand on sait que celle-ci n’aime pas qu’on la considère sous un prisme religieux et que la plupart des pays qui la composent ont achevé le processus de sécularisation et revendiquent une laïcité ou une neutralité dans la gestion des affaires publiques. En outre, la mondialisation économique, culturelle et religieuse a permis la rencontre de populations porteuses d’une histoire, d’une culture, d’une religion ou d’une philosophie propre. On assiste en Europe à un extraordinaire brassage culturel, ethnique et religieux qu’il serait opportun de valoriser et de prendre davantage en considération.
Aussi, nous pouvons nous féliciter de l’entente cordiale existante entre les différentes communautés religieuses sur le sol européen et plus particulièrement en Belgique, et ce en dépit des conflits, incorrectement qualifiés de religieux, qui sévissent dans le reste du monde. Il reste cependant un long chemin à parcourir. L’Europe a malheureusement été secouée par des évènements malheureux ayant fait des centaines de victimes comme les attentats de Madrid et de Londres. Le contexte international quelque peu électrique interfère de façon négative sur les relations entre communautés. Les conflits d’ailleurs sont importés dans nos pays. Les enjeux du monde globalisé demandent à ce que chacun d’entre nous s’atèle à participer à la préservation de la paix sociale. Cette paix sociale demande à ce que chaque citoyen prenne conscience de l’importance de la connaissance mutuelle, du dialogue et de la lutte contre les préjugés.
En Belgique, il existe une volonté d’instaurer un réel dialogue interreligieux et interphilosophique. Ainsi par exemple, depuis 2004 et à l’appel de Jos Chabert, premier vice-président du Parlement Bruxellois, les représentants des différentes religions et philosophies reconnues participent à la mise place une Plate-forme « Bruxelles Espérance » inspirée de l’initiative française « Marseille Espérance ». Cette Plate-forme vise à créer une coopération et un échange entre les courants philosophiques et religieux et les pouvoirs publics. Cette Plate-forme ne se réunit malheureusement qu’à Bruxelles Nous pensons qu’il serait intéressant que l’initiative soit reproduite dans toute la Belgique, dans les autres pays membres de l’Union Européenne et même d’européaniser le concept en créant une Plate-forme nommée « Europe Espérance ».
Il faut par ailleurs souligner que nos pays sont soucieux de garantir un traitement égalitaire entre les différents cultes. Concernant l’islam plus particulièrement, plusieurs états ont procédé à sa reconnaissance et ont entamé un processus d’institutionnalisation. Le système belge est à cet égard original en ce sens que la constitution belge déclare la « neutralité de l’Etat ». Le principe de neutralité consacre l’égalité de traitement entre les différents cultes reconnus. Afin d’assurer une gestion transparente et efficace du temporel du culte, la Belgique a aussi mis en place un Exécutif chargé de jouer le rôle d’intermédiaire entre la communauté musulmane et les pouvoirs publics. Bien qu’une telle structure existe dans d’autres pays, nous pensons qu’il serait opportun de constituer des organes représentatifs dans tous les pays de l’UE.
Aujourd’hui, la question de savoir si l’islam est compatible avec les valeurs de la société occidentale se pose de manière de plus en plus pressante. Les musulmans sont sommés de prouver que la religion à laquelle ils appartiennent peut s’insérer dans le paysage socioreligieux de l’Europe de manière harmonieuse. La façon dont est posée la problématique nous semble fallacieuse. Elle pousse à considérer l’islam comme un élément importé, exogène aux sociétés européennes. Si effectivement l’islam a fait son grand retour en Europe par le biais de l’immigration économique des travailleurs issus de pays musulmans, il est aujourd’hui la religion d’individus nés majoritairement dans nos pays. La réalité européenne démontre avec force la cohabitation possible entre différentes communautés.
Il existe aujourd’hui un pluralisme religieux dans nos sociétés. Il serait opportun que l’Union Européenne développe une politique active de cohésion entre les différentes populations qui la composent. Aujourd’hui, nous savons que les minorités musulmanes de l’Union Européenne constituent une population vulnérable occupant une position défavorisée. Un rapport de l’Observatoire Européen des Phénomènes Racistes et Xénophobes datant de 2006 met en évidence la montée des manifestations islamophobes. Face à cet état de faits, il devient plus qu’urgent que l’Union Europénne débloque les moyens financiers et humains nécessaires afin de lutter contre les discriminations, l’exclusion et la marginalisation qui touchent toutes les minorités des pays membres et qu’elle favorise le dialogue interreligieux et inter philosophique par le déploiement d’une politique spécifique.
L’Europe deviendrait alors un exemple à suivre dans le reste du monde.