Discours de Salah ECHALLAOUI, Président de l’Exécutif des Musulmans de Belgique
Cérémonie en l’honneur de Monsieur Antonio TAJANI, Président du Parlement européen
Grande Synagogue de Bruxelles, 28 juin 2017
Monsieur le Président du Parlement européen,
Monsieur le Président du Consistoire israélite de Belgique,
Monseigneur Guy Harpigny,
Monsieur le Grand Rabbin de Bruxelles,
Mesdames, Messieurs, en vos titres et qualités,
Chers amis,
Je tiens tout d’abord à remercier chaleureusement les représentants du culte israélite pour l’accueil qu’ils nous ont réservé dans ce magnifique endroit, propice à la méditation, à la réflexion et à la rencontre avec l’autre.
Cette initiative, portée par les représentants des religions juive, catholique et musulmane ne pouvait trouver endroit plus emblématique pour recevoir Mr Antonio TAJANI, Président du Parlement européen, qui défend avec force cette idée que le dialogue interreligieux doit jouer un rôle central dans l’intégration européenne.
Quoi de plus symbolique en effet qu’un lieu de culte d’une religion millénaire dont les héritiers ont parcouru les siècles pour délivrer, souvent au péril de leur vie, le message de paix et d’amour de notre patriarche Abraham, père des trois monothéismes et ami intime de Dieu comme aime à le nommer le Coran.
La sagesse de notre humanité, faut-il le rappeler, plonge ses racines dans la profondeur de notre histoire et, malgré les dérives et les atrocités commises au nom de la religion, les hommes et les femmes de foi ont joué un rôle non négligeable dans le développement des valeurs humanistes universelles de paix, de partage, de tolérance et dans la défense des droits de l’homme dans leur ensemble.
Chacun des livres saints offre à l’humanité, combiné à l’exemple des prophètes qui les ont transmis, et à condition d’y appliquer une compréhension savante et éclairée, des outils vers la sagesse universelle et intemporelle. Celle-ci, dès qu’elle est mise en pratique, illumine l’individu qui s’y adonne sincèrement et diffuse la sérénité autour de lui.
Ainsi ce lieu est également à l’image de ce principe. En effet, lorsqu’on se tient à l’extérieur de la synagogue, en dépit de sa façade imposante, le style reste sobre et relativement dépouillé et l’on n’imagine pas la beauté, le foisonnement des couleurs, la luminosité qu’abritent ces murs. La vraie richesse de l’être humain, celle qu’il doit cultiver, se trouve également en lui.
Comme le dit le Coran : « Dieu ne modifie point l’état d’un peuple, tant que les [individus qui le composent] ne modifient pas ce qui est en eux-mêmes » [S.13, v.11]. Nous sommes donc tous, individuellement, responsables du chemin qu’emprunte le monde. La conscience de ce principe doit être au centre de nos préoccupations car ce qui divise les nations, les communautés et les individus se niche au fond de nous-mêmes, dans nos prétentions orgueilleuses. Le Prophète de l’Islam nous le rappelle : « Le fort n’est pas celui qui triomphe de ses adversaires, mais celui qui triomphe de son ego ».
Aussi sombre soit-elle, notre époque n’est pas non plus dénuée d’espoir. Et cette cérémonie en est la preuve. L’Union européenne, certes sous le feu des critiques d’un certain nombre de nos concitoyens, peut compter sur des hommes éclairés comme Mr Antonio TAJANI. Ce dernier met d’une part tout en œuvre pour rapprocher les citoyens du Parlement qu’ils ont élus et faire entendre leur voix. D’autre part, il a compris que le dialogue interreligieux sera déterminant au sein des pays porteurs du projet européen.
Ainsi, de nombreuses avancées en termes de libertés individuelles et de protection des citoyens, quels que soient leur sexe, leurs convictions, leur philosophie de vie ou encore leur couleur de peau sont le fruit de ce grand projet qu’est la construction européenne.
En ce qui nous concerne, nous devons à l’Europe, nous, minorité musulmane, la défense de nos droits ainsi que la garantie de la liberté de culte. Nous avons d’ailleurs constaté que la Cour de justice de l’Union européenne a une lecture beaucoup plus inclusive des directives liées aux libertés religieuses (abattage rituel, port des signes confessionnels, circoncision…) que certains des Etats de l’Union européenne.
A travers les initiatives lancées par le Parlement européen, nous constatons donc que religion et politique peuvent travailler ensemble au bien-être des populations qui vivent au sein de la maison européenne qui est la nôtre. Si le principe de laïcité, cher à nos nations, est le principe fondant la possibilité d’un vivre ensemble harmonieux, cette séparation religieux/politique ne concerne finalement que l’exercice du pouvoir afin de garantir une neutralité stricte des instances dirigeantes envers toutes les composantes de la société.
Pour autant, dans le domaine de l’éthique et de la moralité, de la justice et de l’équité, religieux et politiques doivent impérativement s’unir pour proposer ce modèle de société inclusif, basé sur des valeurs saines, le tout soutenu, et c’est là le creuset de la réussite, par l’exemplarité des personnes qui portent cette responsabilité devant les citoyens européens.
Les défis, il faut bien le reconnaître, sont néanmoins énormes. Comme le rappelait Monsieur Tajani il y a peu, lors de son discours d’ouverture de la conférence de haut niveau sur la gestion des migrations, nos concitoyens sont inquiets quant à l’augmentation massive du nombre de demandeurs d’asile aux frontières européennes, partagés entre la crainte de voir nos pays submergés par cette vague migratoire et la compassion envers ces personnes, ces familles qui fuient des situations dramatiques intenables.
Comme je le disais ci-avant, nous avons chacun une part de responsabilité, si ce n’est dans ce qui s’est produit, au moins dans ce qu’il adviendra. Par conséquent, ce que nous allons décider, et les actions qui en découleront, devra être mûrement réfléchi et devra tenir compte des réalités qui nous entourent. Nous ne pouvons notamment nier la peur qui submerge certains de nos concitoyens face aux incertitudes de l’avenir, nous devons la comprendre, l’accompagner et y apporter des réponses qui contreront les discours xénophobes de manière durable et convaincante.
Ce principe s’applique également à la lutte contre le terrorisme : combien de nos jeunes sont partis en Syrie après une radicalisation expresse, si vous me permettez l’expression. A nouveau, si nous voulons regarder les choses avec lucidité, nous devons admettre, dans un premier temps, notre échec dans la lutte contre les discours extrémistes et reconnaître leur réel impact. Mais une fois ce constat établi, il est de notre devoir de tout mettre en œuvre pour que cela ne se répète plus, en produisant un contre- discours qui annihile l’emprise que certains prédicateurs de haine ont sur nos jeunes.
En ce sens, je pense que cette cérémonie constitue une réelle opportunité pour unir nos efforts et pour nous inspirer mutuellement, sur base de nos expériences respectives, des solutions à long terme. Ceci, afin de redonner à l’Union européenne et aux différentes religions qui la traversent, un rôle clé dans l’avenir de notre continent mais également dans l’orientation que prendra l’humanité en cette fin de décennie.
Les différences entre les peuples sont certes bien présentes, mais ce qui les unit est également une réalité prégnante ! En ce sens, les grandes religions, bien comprises – et l’on n’insistera jamais assez sur cette notion – peuvent jouer un rôle unificateur. A leur manière, ces dernières ont toujours affirmé ce que confirment aujourd’hui les sciences du vivant : nous possédons une origine commune, l’univers et ce qu’il contient puise à une source universelle qui s’est diversifiée avec le temps pour donner naissance au monde tel que nous le connaissons aujourd’hui. Par conséquent, si notre origine est commune, notre avenir l’est tout autant !
L’Islam, dans son ADN, est riche de cet enseignement : d’Abraham à Mohammed, notre religion reconnaît, aime et respecte l’ensemble des prophètes et messagers qui ont porté la foi en Dieu. Dans son texte, le Coran nous invite non seulement à respecter la diversité des êtres qui peuplent notre Terre, mais également à aller à leur rencontre. Et il en va de même pour les trois religions monothéistes.
Nous lisons ainsi dans la Sourate 3 du Coran, verset 84 « Dis : Nous croyons en Dieu et en ce qui est descendu sur nous, en ce qui est descendu sur Abraham, Ismaël, Isaac, Jacob et les Lignages, et à ce qui vint à Moïse, à Jésus et aux prophètes, de la part de leur Seigneur : nous ne faisons aucune différence entre eux ; et c'est à Lui que nous sommes dévoués ».
Je terminerai mon intervention en reprenant les propres mots de notre hôte, dans son appel sans concession à la non-violence : « Quiconque tire au nom de Dieu, tire contre Dieu »