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30 janvier 2023

CARTE BLANCHE
30 janvier 2023

Après les horreurs de la Seconde Guerre mondiale, les droits de l'homme ont reçu l'attention qu'ils méritaient avec la Déclaration universelle des droits de l'homme et la Convention européenne des droits de l'homme. Aujourd'hui, nous sommes 70 ans plus tard et il semble que l'importance des droits de l'homme s'estompe tranquillement. Depuis la Grande Charte d'Angleterre, les traités relatifs aux droits de l'homme imposent des exigences et des limites à l'action des gouvernements. Mais, ces dernières années, l'ingérence du gouvernement dans des domaines auparavant considérés comme évidents pour les libertés individuelles est devenue une certitude. La dignité humaine et la liberté individuelle sont aujourd'hui en jeu... Elles sont sacrifiées sur l'autel de la peur. La peur qui, par pur intérêt politique, est alimentée jour après jour par des fake news.

La recherche de boucs émissaires est une stratégie séculaire. Les groupes de population sont soigneusement présentés comme la source de tous les maux. Le schéma est simple : le groupe de population en question est le coupable, le peuple est la victime et le dirigeant est le héros ou le sauveur qui débarrassera le peuple du bouc émissaire.

Depuis des temps immémoriaux, des personnes ont été harcelées, accusées, persécutées en raison de leurs croyances religieuses.  Aujourd'hui, les chrétiens sont persécutés en Somalie et au Pakistan, entre autres ; dans l'Europe du XVIe siècle, les chrétiens se persécutaient entre eux ; bien avant la déshumanisation dramatique qu'ils ont subie sous l'Allemagne nazie, les Juifs d'Europe étaient discriminés, humiliés et exclus.

Depuis le 11 septembre, les flèches de l'Occident sont dirigées vers les musulmans. Bien entendu, cette situation n'est pas comparable aux terribles violations de l'intégrité physique et psychologique que les groupes susmentionnés ont dû subir et subissent encore.  Toutefois, les dynamiques et les mécanismes sous-jacents présentent des similitudes.

Aujourd'hui, les musulmans sont indistinctement qualifiés de violents et de profiteurs. L'Islam est présenté comme la véritable menace pour la société occidentale.  Le discours accroche et fait grimper la popularité de certains partis politiques. Encore plus en période de troubles relatifs et de crise économique. Il n'y a pas de réelle résistance à cette dynamique. Les gens sont terrifiés à l'idée de trop jouer la carte du musulman. Le résultat est que les musulmans de Belgique sont systématiquement privés de leurs droits et libertés fondamentales. Néanmoins, la constitution belge leur est également applicable. En tant que Belges, ils sont égaux devant la loi à tous les autres Belges. Les musulmans peuvent être accusés sans preuves claires. Les musulmans peuvent se voir refuser arbitrairement le droit de mettre en place leur propre enseignement. Les musulmans sont oisivement accusés d'"islamisation" - quoi que cela veuille dire.  Sur l'ensemble des Belges, environ 7 % sont musulmans. Cela signifie que 93% ne sont pas... 

Quelle piètre estime de soi a le non-musulman belge lorsqu'il se sent menacé par une majorité aussi écrasante (10 773 000 non-musulmans) par une minorité aussi infime (moins de 800 000 musulmans) ? Les Belges, les Wallons, les Bruxellois et les Flamands, qui sont forts de leur pouvoir, de leurs convictions, de leur histoire ou de leur identité (quelle qu'en soit la signification), n'ont-ils pas à avoir peur de ce petit groupe de musulmans, qui sont ici en grande partie parce qu'il y a des années, nous avons été invités de manière très séduisante à venir travailler dans les mines, entre autres ?

Pour ceux qui en douteraient encore : nous rejetons la violence et l'extrémisme, nous sommes des personnes ordinaires, qui, comme tous les autres Belges, mènent un combat quotidien pour l'existence de nos familles, de nos proches, de nos amis. Nous travaillons, mangeons, buvons, dormons, faisons la fête, et certains d'entre nous prient également. Bien sûr, il existe des musulmans moins bien intentionnés, mais en cela, nous ne sommes sûrement pas différents du reste de la population mondiale. Personne n'est parfait, et un grand nombre de religions ont des faits ou des périodes de leur histoire dont elles ne sont pas fières, c'est le moins qu'on puisse dire.

Chaque religion et communauté reconnue en Belgique disposent d'un organe dit représentatif.  Par exemple, pour l'Église catholique, il s'agit de la Conférence des évêques, pour la religion juive, du Consistoire central israélite de Belgique et pour les musulmans, de l'Exécutif des Musulmans de Belgique (EMB), reconnu relativement récemment, en 1999.  Au cours de sa jeune existence, l'EMB a travaillé de manière constructive et respectueuse avec les ministres de la justice successifs. À notre grande surprise, les choses ont changé avec l'actuel ministre de la Justice. Dans un style de négociation que l'on peut difficilement qualifier de contraignant, nos demandes ont été imposées. Le vice-président a dû démissionner et des personnes concrètes ont dû être admises à l'EMB. Nous avons dû prendre exemple sur l’organisation au sein des autres cultes. Il est évident qu'il doit y avoir et qu'il y aura des élections pour le renouvellement de l’EMB. Seulement, celles-ci n'ont pas pu être organisées ces deux dernières années en raison de COVID-19. 

Peu désireux de répondre à ces demandes, l'EMB - coïncidence ou non - s'est soudainement retrouvé dans l'œil du cyclone. Sur la base de rapports de la Sûreté de l'État ayant fait l'objet de fuites, l'EMB et son président ont été mis au courant de la menace de l'État. Les médias ont suivi ce mouvement sans le critiquer et il n'y avait pas de place pour une véritable critique.  Quelques jours après que l'EMB, par l'intermédiaire de son avocat, ait déposé une plainte auprès du Comité de surveillance des services de renseignement et de sécurité pour avoir divulgué des rapports confidentiels (dont le contenu n'était pas du tout aussi incriminant qu'il n'y paraissait), le ministre a annoncé qu'il retirait la reconnaissance de l'EMB. Avant même que la reconnaissance ne soit effectivement retirée, les fonds de fonctionnement alloués à l'EMB n'ont plus été versés.

L'EMB a été placé sur des graines sèches. A partir de cette position, des demandes substantielles ont été faites par le ministre de la Justice concernant l'organisation des élections. Il s'agit notamment de la participation des femmes et des experts. Aujourd'hui, après des mois de négociations prolongées, l'EMB a accepté toutes les demandes imposées par le ministre.

Comme de nouvelles exigences sont constamment imposées, le ministre ne se soucie apparemment pas d'un accord avec l'EMB. Qu'est-ce qui pousse un ministre libéral de la justice à s'impliquer aussi profondément dans l'organisation d'un culte reconnu ? La pression exercée par un certain courant politique permet-elle de mettre si facilement de côté les droits et la liberté individuels ? Moins de 800 000 musulmans vivent en Belgique. L’Exécutif actuel a été élu sur la base d'une très large participation des mosquées belges. Les comparaisons avec les années 30 sont exclues. À l'avenir, des comparaisons seront faites avec les années 1920. Humilier, blâmer et exclure des groupes de population en raison de leurs croyances religieuses est à l'ordre du jour aujourd'hui.  La fin justifie les moyens. Par pur appât du gain politique, les gens sont prêts à négliger les droits humains fondamentaux. Il est évident que cela est inquiétant.

Aujourd'hui, 30 janvier 2023, le ministre belge de la Justice, probablement inspiré uniquement par des motifs électoraux, refuse de nous verser le moindre subside. Le retrait de notre reconnaissance est contesté au Conseil d'État. En outre, le ministre lui-même a confié au Bureau la gestion quotidienne de l'EMB et la coordination de ses tâches. Il est évident que ces tâches ne peuvent être réalisées sans fonds. L'EMB ne peut plus payer aucune facture. Nous risquons d'être expulsés de nos bureaux parce que nous ne pouvons pas payer le loyer.

Chers amis, frères et sœurs : ce récit a lieu en Belgique, en 2023... Nous en sommes profondément attristés et troublés. Notre fonctionnement est saboté à la fois financièrement et légalement. Nous sommes dos au mur. Ce n'est pas seulement la reconnaissance de l'EMB qui est en jeu, mais aussi la reconnaissance de la pratique de l'islam en tant que culte.

Les musulmans font l'objet d'une discrimination au plus haut niveau en Belgique. Il n'est pas sérieux de promouvoir la diversité d'un côté et de saboter l'Islam avec dérision de l'autre. L'histoire se répète.

Le ministre de la Justice rompt le dialogue avec la communauté musulmane.

Depuis les attentats de Bruxelles et de Paris, la nécessité d'un dialogue permanent entre les différentes religions et philosophies d'une part et les autorités civiles d'autre part est apparue clairement. Le Conseil de dialogue a été créé le 20 avril 2016, lors d'une rencontre entre le gouvernement fédéral et les représentants des religions reconnues.

Dans leur déclaration commune, ils ont souligné la volonté mutuelle de dialogue, ainsi que de concertation entre les autorités civiles et les cultes reconnus (y compris les organisations philosophiques non confessionnelles), dans le respect des principes constitutionnels d'indépendance des religions, et la lutte commune contre toute forme de violence. Lors de cette réunion, le Premier ministre et le ministre de la Justice ont donc exprimé la volonté de créer un organe consultatif permanent avec les représentants des religions reconnues.  

C'est précisément dans cet organe consultatif constructif, le Conseil du dialogue, que les musulmans ne sont plus les bienvenus aujourd'hui. Alors qu'une présence musulmane est indispensable au bon fonctionnement et à une consultation positive, le ministre de la Justice refuse aujourd'hui d'inviter la communauté musulmane. Nous estimons que cette situation est tellement mauvaise que nous devons maintenant la porter sur la place publique.

L'EMB est un membre fondateur du conseil de dialogue. Il était présidé par Charles Michel et Koen Geens.

Mehmet ÜSTÜN
Président de l'EMB

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